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28 mai 2010 5 28 /05 /mai /2010 11:51

camping 800Bercé par la torpeur d’un mois d’août insipide, j’avais fini par oublier jusqu’à l’existence d’Alain Lepécheur. Or Alain Lepécheur, employé au service comptabilité, est revenu ce matin, la tête pleine de souvenirs de vacances dont il aimerait partager la primeur – et probablementt l’exclusivité – avec moi. Le problème est que je n’ai aucun goût pour les souvenirs de vacances, quels que soient l’endroit visité et l’habileté du narrateur. Il existe de surcroît une circonstance aggravante : Alain Lepécheur me fatigue. Pour résumer la situation d’un strict point de vue relationnel : il n’est pas et ne sera jamais mon ami et la seule idée qu’il puisse le devenir un jour, par je ne sais quel aberrant concours de circonstances, suffit à me procurer des palpitations d’angoisse. Problème connexe : Alain Lepécheur semble intimement persuadé du contraire. A mon avis, il fonde cette conviction sur le fait que nous sommes les deux seuls hommes dans le bâtiment. Cela devrait sans doute engendrer à ses yeux une sorte de complicité naturelle, entre mâles, faites d’échanges virils et de sous entendus que seuls les hommes peuvent comprendre, et contre laquelle rien ni personne ne serait en mesure de lutter.
Si j’étais un peu plus courageux, je lui aurais depuis longtemps exprimé mon profond désaccord quant à sa conception de l’amitié masculine. En un mot, je l’aurais envoyé chier.  Seulement, je suis un peu lâche, et c’est avec un demi-sourire forcé que je subis sa présence ce matin dans mon bureau.
Il est plutôt petit et râblé, et ses membres épais mettent à mal les coutures de ses vêtements. Son visage est quelconque, avec toutefois un nez plus large que la moyenne et des yeux bleus minuscules qui lui donnent un air d’animalité indéniable. Pour l’heure, il est bronzé, avec une dominante orangée assez peu naturelle.
Alain s’est fait quatre
meufs, ce qui selon lui, et si l’on considère qu’il est parti quatre semaines, est une excellente moyenne. « Une par semaine, pas le temps de s’ennuyer ! » résume-t-il avec un sens de la formule indéniable. J’apprends accessoirement qu’il est parti sur la Côte d'Azur, à Cavalaire et en camping, parce que c’est moins cher et parfaitement adapté pour rencontrer des meufs. De plus les gens étaient hyper sympas et il ne se passait pas un soir sans qu’il ne soit invité, qui à l’apéro, qui à une merguez-party. Tout en l’écoutant s’exprimer, une joie indicible grossièrement peinte sur son visage d’idiot, des visions de cauchemar traversent mon esprit: ces litres de Ricard engloutis, ces kilos de cacahouètes prestement avalées entre deux blagues sur les blondes, et un peu plus tard les dégueulis à l’abri des regards, une main livide appuyée sur le pin parasol…
Alain Lepécheur a développé une pragmatique de la drague qui en soit n’a rien d’original mais dont il est particulièrement fier, comme s’il en était l’inventeur : le camping est son terrain de prospection exclusif ; il repère ses proies en se promenant dans les allées d’un air détaché, puis les entreprend le soir même, au bal. Bien sûr il y a du déchet, reconnaît-il avec une certaine honnêteté. Dieu merci, pensais-je, toutes ne sont pas assez stupides pour tomber dans les bras d’un tel singe. Quelque part, c’est rassurant.
Mais sur la masse, s’empresse-t-il d’ajouter, ça finit toujours par marcher, c’est mathématique. Il applique en cela la technique marketing du mailing ou envoi en nombre. Même si le produit est médiocre, il y aura toujours des gens assez naïfs pour tomber dans le panneau et acheter. De toute évidence, le marketing s’avère une véritable bénédiction pour Alain Lepécheur, produit médiocre s’il en est.
Je constate que son récit l’a passablement excité. Il a envie d’en dire plus, de se confier, et va sans doute entrer dans une nouvelle phase de sa narration, ouvertement axée sur les performances sexuelles des quatre
meufs. Cette perspective à vrai dire ne m’emballe pas et je fixe l’écran de mon ordinateur afin de lui signifier que j’ai des choses à faire et qu’il serait peut-être temps qu’il regagne son espace de travail. Mais le signe est vraisemblablement trop ténu pour Alain Lepécheur. Il pose une fesse sur mon bureau, se penche vers moi, susurre avec un air gourmand : « La première s’appelait Martine… » A ce moment-là, le téléphone sonne. Je regarde mon collègue avec une grimace d’excuse et décroche. Il semble déçu, mais en prend son parti. En sortant, il m’adresse des signes de la main auxquels je ne comprends rien. Ou que je refuse de comprendre.

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commentaires

Y
<br /> Mmmh j'ai tellement souvent vécu ça!<br /> "wink wink nudge nudge".........<br /> <br /> <br />
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L
<br /> Un cousin éloigné de Robert Bidochon... Morte de rire !<br /> <br /> <br />
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Carte D'identité

  • Aloysius Chabossot

Avertissement

Les textes qui suivent proposent au lecteur d’entrer de plain-pied dans le cerveau méandreux d’un aquoiboniste. La diversité des sujets abordés peut donner dans un premier temps une impression de confusion peu compatible avec l’élaboration d’une pensée construite et ordonnée, et l’on pourra par moments se sentir comme un naufragé embarqué sur une frêle esquive, perdu au milieu d’une purée de pois. Cependant, au fil des pages, le lecteur consciencieux se verra récompensé de ses efforts : car bientôt, au milieu de la brume, apparaîtront comme dans un rêve les côtes admirablement ciselées d’une pensée homogène et novatrice : l’aquoibonisme. Il faudra pour cela parfois ramer un peu.

Qu'est-Ce Que L'aquoibonisme ?