Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
13 janvier 2012 5 13 /01 /janvier /2012 13:44


salle cinemaL'angoisse est la peur de l'inconnu, qu’il se situe dans le temps ou dans l’espace.

Elle n’est pas innée, mais prend naissance lors de certaines situations traumatisantes, puis se développe pour gagner peu à peu tous les domaines de la vie, ou presque. Il parait qu’en philosophie, l’angoisse peut aboutir à un questionnement sur la condition humaine. Ainsi, Jean-Paul Sartre a su tirer parti de son angoisse en inventant le concept d’existentialisme. Pour ma part, je n’en tire que de désagréables sensations d'oppression accompagnées d’un sentiment absurde de danger imminent, qui ne m’aident en rien dans la compréhension de ma condition. En revanche, à titre de consolation, je sais d’où elle provient, j’arrive à en situer l’élément déclencheur, la scène primale.

Je devais avoir 6 ans et, accompagné de ma mère j’allais pour la première fois au cinéma. Le film s’appelait « Djumbo », un dessin animé de Walt Disney racontant l’histoire d’un éléphanteau qui vole grâce à ses oreilles surdimensionnées. La salle était presque pleine lorsque nous arrivâmes et nous dûmes nous installer au beau milieu d’une large rangée. Je regardais les publicités pour les esquimaux tout en essayant de contenir mon excitation lorsque ma mère me demanda si j’avais pensé à faire pipi. Elle ajouta aussitôt en se penchant un peu plus vers mon oreille : « Quand le film sera commencé, il fera tout noir dans la salle et tu ne pourras plus te lever ». Dans un flash, je me vis titubant au milieu de la travée, buttant sur chaque marche, la vessie douloureuse tandis que dans mon dos défilaient les aventures de Djumbo, auxquelles à mon retour des toilettes je ne comprendrais forcément plus rien. Une autre version de mon périple, bien plus dramatique, m'apparut ensuite, provoquant une crispation de mes mains sur les accoudoirs. Cette fois-ci, perdu dans le noir je n’arrivai jamais jusqu’aux toilettes. Et me trouvait contraint de me libérer dans mon pantalon. Des spectateurs s’en apercevaient et se mettaient à crier. On coupait la projection, rétablissait la lumière dans la salle et, traîné par ma mère humiliée, je sortais sous les huées du public.

J’allais me lever lorsqu’une ultime variation s’imposa à mon attention. Cette fois-ci, je trouvais bien les toilettes mais sur le chemin du retour je m’égarais au milieu des multiples rangées de fauteuil, incapable de retrouver ma place d’origine. Planté au milieu de l’allée plongée dans l’obscurité, je me mettais à pleurer, avec les mêmes conséquences honteuses que dans le scénario précédent. Je choisis donc prudemment de rester à ma place, tout en appuyant, à intervalle régulier, d’une main inquiète sur ma vessie. Le dernier quart du film fut pénible car mes pressions répétées avaient fini par détecter une envie, d’abord fugace puis de plus en plus prononcée au fur et à mesure que le temps passait. Mon attention se détachait régulièrement du sort de Jumbo pour se concentrer sur un questionnement à mes yeux autrement important : allais-je tenir jusqu’au bout de la séance ?  Contre toute attente, la réponse fut oui.

Mais encore aujourd’hui, je ne puis m’empêcher, en pénétrant dans une salle de cinéma, d’observer le même rituel immuable :

- repérer immédiatement où se trouvent les toilettes.

- m’y rendre, même sans envie probante.

- exercer des pressions sur ma vessie tout le long de la séance.

C’est à ce prix seulement que mon angoisse s’atténue suffisamment pour que je puisse voir le film jusqu’à son dénouement sans pensée parasite. Bien sûr, j’ai conscience du ridicule de ce petit stratagème, et pourtant je ne cesse de me dire que ce serait une chance si, pour chaque type d’angoisse rencontrée au court de mon existence, il existait un rituel approprié.

Partager cet article
Repost0

commentaires

E
J'aime bien ce post qui laisse place à la réflexion. C'est dommage que vous ne publiez pas plus souvent... :'(
Répondre
C
Voir Blog(fermaton.over-blog.com)No.7- THÉORÈME COSMOLOGIQUE. - La naissance du temps.
Répondre
A
<br /> <br /> oui, absolument.<br /> <br /> <br /> <br />

Carte D'identité

  • Aloysius Chabossot

Avertissement

Les textes qui suivent proposent au lecteur d’entrer de plain-pied dans le cerveau méandreux d’un aquoiboniste. La diversité des sujets abordés peut donner dans un premier temps une impression de confusion peu compatible avec l’élaboration d’une pensée construite et ordonnée, et l’on pourra par moments se sentir comme un naufragé embarqué sur une frêle esquive, perdu au milieu d’une purée de pois. Cependant, au fil des pages, le lecteur consciencieux se verra récompensé de ses efforts : car bientôt, au milieu de la brume, apparaîtront comme dans un rêve les côtes admirablement ciselées d’une pensée homogène et novatrice : l’aquoibonisme. Il faudra pour cela parfois ramer un peu.

Qu'est-Ce Que L'aquoibonisme ?