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Bien que présent depuis la nuit des temps à l'état larvaire dans l'esprit de l'homme, l'aquoibonisme est un mouvement relativement récent dans l'histoire déjà longue de la pensée. Il a ceci de particulier qu'il ne possède ni grand théoricien, ni figure de proue auxquels il serait aisé de le rattacher.

Offrant parfois des similitudes avec le nihilisme et le stoïcisme, il est cependant difficile de les confondre. L'aquoibonisme reste avant tout une idée philosophique naturelle, protéiforme et particulièrement complexe, qui supporte mal la théorisation. Et c’est probablement cette réticence à la conceptualisation qui fait qu’à ce jour, l’aquoibonisme n’a encore jamais fait l’objet d’une étude sérieuse.
 

Les origines

Nous l'avons dit, l'aquoibonisme a toujours existé. L'homme des cavernes qui reste assis, et dessine d'un air absent des motifs abscons sur le sol, tandis que ses camarades sont partis cueillir des baies, est un aquoiboniste en puissance.
Toutefois, il faut attendre l'année 1977 pour que le mot fasse une apparition notable, dans un domaine traditionnellement plus enclin à la gaudriole qu'à la réflexion philosophique.

Cette année-là, en effet, l'auteur-compositeur Serge Gainsbourg écrit une chanson qu'il offre à son égérie d'alors, Jane Birkin. Cette chanson, "L'aquoiboniste", si elle ne rencontre qu'un succès tout relatif, a néanmoins pour mérite d’offrir un nom à un courant de pensée jusqu'alors volatil.

En voici les passages les plus significatifs :
 

 C'est un aquoiboniste, un faiseur de plaisant-tristes

Qui dit toujours "A quoi bon ? A quoi bon ?"

Un aquoiboniste, un modeste guitariste

Qui n'est jamais dans le ton, à quoi bon ?

Un aquoiboniste un peu trop idéaliste

Qui répète sur tous les tons : "A quoi bon ?"

Un aquoiboniste qui se fout de tout et persiste

à dire « je veux bien, mais au fond, à quoi bon ? »

 

En dépit de ses allures frivoles, le texte pose avec une remarquable acuité les fondements de la pensée aquoiboniste, qui dès lors peut se synthétiser comme suit :

- Doute face à l'action et à son utilité.

- Prise de recul systématique face aux différents engagements que l'individu est inconsciemment contraint de prendre pour s'insérer dans la vie sociale (adhésion à la famille, au travail, à la morale dominante…)

- Refus de penser que les motivations communes à l'ensemble du genre humain (pouvoir, reconnaissance, et leurs corollaires, argent et sexe) suffisent à donner un sens à la vie, tout en reconnaissant que, parfois, cela peut aider.

- Ferme conviction que la vraie vie est ailleurs, sans savoir précisément où.


A quoi reconnaît-on un aquoiboniste ?

Une simple observation à l’œil nu peut bien souvent s’avérer insuffisante. Toutefois, quelques indices peuvent mettre sur la voie :

- Un manque de recherche consternant en ce qui concerne la vêture.

L’aquoiboniste n'est jamais à la mode. Cela ne découle pas chez lui d’une volonté de se démarquer de ses contemporains, mais plutôt d’une incompréhension totale des mécanismes qui sont en jeu. Son idéal serait qu’à la naissance on lui couse sur le corps des vêtements qui s'adapteraient à sa croissance, et qu'il pourrait ainsi porter jusqu'à la fin de sa vie. Ce pourrait être, par exemple, une sorte de barboteuse.

- Une coupe de cheveux approximative.

Appuyant son raisonnement sur le fait qu'il est dans l'incapacité de percevoir plus de 30 % de son apparence capillaire (et encore faut-il se regarder dans un triptyque de miroirs tel qu’en offrent les armoires de salles de bains), il ne trouve pas utile de se rendre chez un coiffeur. Il se coupe donc lui-même les cheveux, avec un bonheur variable.

- Un maintien aléatoire.

Il se tient souvent courbé vers l'avant, les mains dans les poches dès lors que ses vêtements – veste ou pantalon - en sont équipés. Lorsqu’elles font défaut, ses bras se tiennent de chaque côté de son torse, parallèle à lui, à l’endroit où les lois de la gravitation universelle les ont précisément assignés.

- Une position sociale ambiguë.

L'aquoiboniste n’éprouve le plus souvent qu’un intérêt mitigé pour son travail (s'il en possède un). Il peut lui arriver cependant de faire preuve d’efficacité dans les tâches qui lui sont confiées, dans le seul but de ne pas compromettre sa survie sociale. Mais ça ne va jamais plus loin.

- Une vie sentimentale pauvre.

Bien que raisonnablement attiré, comme tout un chacun, par le sexe opposé, l’aquoiboniste éprouve toutes les peines du monde à se lancer dans un travail de séduction. Cela exige de lui la mise en place d’une stratégie de conquête impliquant la mobilisation d'une énergie qu'il ne possède pas toujours. On constate dès lors chez l’aquoiboniste l'élaboration d'une technique de séduction passive réduisant à sa plus simple expression le recourt à la volonté. La plupart du temps, cela consiste à espérer qu’une rencontre se produise, assis à la table d'un quelconque café-bar-tabac. L'attente, souvent longue, s'avère au demeurant toujours stérile.
 

L'aquoiboniste et l'action

L'aquoiboniste n'a rien contre l'action. Il y serait même favorable, dans certains cas. Pour exemple, il préfère agir plutôt que s'ennuyer à ne rien faire. Cela l'amène parfois à adopter des comportements surprenants, comme se lancer dans l'écriture. Très rapidement, cependant, il réalise la vanité de sa démarche en se posant un certain nombre de questions : "Qui ça intéresse ?" "Qui s'amuserait à lire ça ?" "N'est-ce pas l'heure de "Qui veut gagner des millions ?" ?" (Ce qui fait deux questions en une). Aussi, les esquisses de débuts d’histoires inachevées s'entassent sur ses étagères, pauvres petits feuillets orphelins à jamais oubliés par leur géniteur inconséquent.
 

L'aquoiboniste est-il un être à part ?

Si l’idée est séduisante, rien cependant ne nous permet de l'affirmer de façon catégorique. L'aquoiboniste, bien que se situant, de par son état d’esprit, aux lisières de la société, n’en reste pas moins un être humain comme les autres, et par conséquent assujetti aux mêmes contraintes, parmi lesquelles se trouvent en bonne place : avoir une raison de se lever chaque matin, de faire éventuellement son lit, sa toilette, de se brosser les dents (la liste n'est pas exhaustive. Certains ajouteront, par exemple : se rendre à son travail)

Pour accomplir toutes ces tâches, il convient de posséder une motivation supérieure qui en quelque sorte servira de moteur. Voici, sans souci de classement hiérarchique, quelques motivations supérieures identifiées par nos soins chez des individus raisonnablement insérés :

- Gagner de l'argent.

- Devenir célèbre

- Rester jeune

- Connaître par coeur le classement du championnat de football (celui-ci change chaque semaine)

- Maigrir

- Grossir

- Acheter une résidence secondaire

- Partir en vacances dans un endroit exotique.

- Se lier d'amitié avec des gens et organiser des paëllas-party

Malgré leur diversité, aucune n'est en mesure de satisfaire l'aquoiboniste, qui n'aspire en définitive qu'à une chose : s’abîmer au plus profond d’un néant infini, ou exprimé plus simplement : être tranquille. Voilà donc sa motivation supérieure à lui. Chacun de ses gestes, chacune de ses pensées tendra irrémédiablement vers ce but ultime et pas si accessible que ça. Pour le reste, l'aquoiboniste dispose d'une devise taillée à la mesure de ses ambitions : « Espérer le meilleur, s'attendre au pire ».
 

Les expressions symptomatiques utilisées par l'aquoiboniste

« Peut-être… »

« Si on veut… »

« Fais comme tu veux… »

« Je m'en fous… »

« Je vois pas l'utilité… »

« Ca va servir à quoi ? »

« Quel intérêt ? »

« Ca ou autre chose… »

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Carte D'identité

  • Aloysius Chabossot

Avertissement

Les textes qui suivent proposent au lecteur d’entrer de plain-pied dans le cerveau méandreux d’un aquoiboniste. La diversité des sujets abordés peut donner dans un premier temps une impression de confusion peu compatible avec l’élaboration d’une pensée construite et ordonnée, et l’on pourra par moments se sentir comme un naufragé embarqué sur une frêle esquive, perdu au milieu d’une purée de pois. Cependant, au fil des pages, le lecteur consciencieux se verra récompensé de ses efforts : car bientôt, au milieu de la brume, apparaîtront comme dans un rêve les côtes admirablement ciselées d’une pensée homogène et novatrice : l’aquoibonisme. Il faudra pour cela parfois ramer un peu.

Qu'est-Ce Que L'aquoibonisme ?