Vit en moi une volonté, profondément cachée mais bien vivace, de résister à la société. Non pas de la réformer, ni même de la changer un tant soit peu, mais de s’opposer à elle, de ne pas accepter le jeu qu’elle m’impose de jouer.
Pour tout dire, je n’ai jamais aimé pas les jeux de société (et enfant, c’était un supplice que de voir les mains de ma mère fourrager dans un tiroir du buffet afin d’en extirper un antique jeu de dada, sous prétexte qu’il allait pleuvoir tout l’après-midi du dimanche).
Afin d’assouvir cette soif contestataire, j’aurais pu choisir d’être voleur d’autoradio, par exemple. Car un voleur d’autoradio s’oppose à la société.
Toutefois, en poussant un peu la réflexion, on comprend qu’il contribue également à son bon fonctionnement : avec l’argent issu de ses larcins, il va remplir son caddie chez ED (c’est ce qu’on appelle le blanchiment de l’argent sale).
Il apparaît donc que cette résistance est illusoire, car tôt ou tard le système instauré finit par nous rattraper et nous broyer de ses mâchoires voraces sans avoir eu le temps de protester. Ce qui laisse soit dit en passant le voleur d’autoradio totalement froid, car son unique ambition est avant tout empreinte d’une grande modestie : régler, en espèces trébuchantes et la tête haute, les diverses denrées dont il aura fait l’acquisition chez l’Épicier Discount.
Pour ma part, cela ne me satisfait pas, pour les raisons que je viens de décrire, et puis également parce que je suis incapable de voler un autoradio, je ne sais jamais quels fils il faut couper, et puis en plus c’est risqué, on peut finir en prison.
Car il est une chose que je n’ai pas encore révélée, mais que le lecteur clairvoyant aura sans doute deviné : je suis un peu lâche, et assez peureux.
Affublé de tels traits de caractère, on comprendra qu’il m’est difficile de m’opposer à la société de manière trop voyante.
Je préfère donc m’opposer en silence, chez moi, confortablement assis dans mon canapé, cela génère moins d’ennuis.