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15 janvier 2014 3 15 /01 /janvier /2014 14:53

 

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19 novembre 2012 1 19 /11 /novembre /2012 09:20

 



 

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10 juillet 2012 2 10 /07 /juillet /2012 10:49

"L'Aquoibonisme, ou la petite dépression larvaire comme hygiène de vie"  est disponible sur amazon depuis peu.


AQUOI-COUV2.jpg

 

Cliquez sur l'image pour voir la présentation.

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3 avril 2012 2 03 /04 /avril /2012 09:41

immeuble-carre.jpgLorsque j'étais enfant, j'habitais avec mon père et ma mère dans un immeuble, strict parallélépipède rectangle dont l'austère façade se voyait néanmoins ornementée, tous les vingt mètres, par une série verticale de petits balcons en béton. La construction datait de 1962, époque où l'aspect pratique prévalait largement sur les préoccupations esthétiques. Or, quoi de plus pratique qu'un appartement carré ?

 

J'ai ainsi grandi dans cette rectitude géométrique qui englobait tout, des escaliers anguleux aux allées du jardin progressant en angles droits jusqu'à des bacs à sable rectangulaires. L'esprit de sérieux qui en émanait plaisait indubitablement aux parents ; les enfants, pour leur part, devaient s'en accommoder.

Vers 8 ou 9 ans, âge auquel la socialisation de l'enfant, entamée à l'école, tend à se propager dans tous les domaines de la vie, nous avons commencé, entre amis du même immeuble qui fréquentions la même école et parfois la même classe, à nous inviter les uns chez les autres. La démarche cependant ne coulait pas de source, et nécessitait des autorisations en bonne et due forme, la plupart du temps obtenue par le biais du téléphone. Ainsi la mère du petit Didier appelait la mère du petit Thierry afin de s'assurer que l'invitation dont lui avait fait part son fils pour le jeudi suivant n'était pas à mettre sur le compte d'une imagination mal maîtrisée. La mère du petit Thierry lui assurait que l'invitation était tout ce qu'il y avait de plus officielle, elle riaient alors de ce que leurs rejetons pouvaient parfois être menteurs, puis la date et l'heure étaient définitivement bloquées.

En revanche, lorsque les parents de l'hôte pressenti travaillaient tous les deux, les démarches administratives se trouvaient réduites à néant. On se sentait tout de même plus libre de nos mouvements sans la surveillance tatillonne d'une mère obnubilée par l'intégrité de son intérieur. Hélas, ce genre d'invitation clandestine n'arrivait pas souvent, pour la bonne raison qu'à cette époque, les enfants dont les deux parents travaillaient restaient rares. Dans la conception étriquée du monde et de son ordonnancement qui servait de référence au milieu petit bourgeois auquel j'appartenais, cette catégorie se situait juste au dessus des enfants de divorcés, en terme de "bonne fréquentation". Si la présence des premiers était facilement acceptée par les parents "normaux" dans l'entourage de leurs progénitures, c'était plus délicat pour les seconds, qu'on n'était pas loin de considérer comme des rejetons de débauchés, et par conséquent, de futurs débauchés eux-mêmes.

Il arriva cependant qu’un jeudi, échappant pour quelques heures à la surveillance tatillonne de ma mère, je pénétrai dans l’appartement d’un dénommé Thierry, dont les parents travaillaient sur Paris. Thierry logeait dans le même immeuble que moi, deux escaliers plus loin. Mais alors que la porte du mien se situait côté droit de l’escaler, le sien donnait à gauche. Cette différence, insignifiante au premier abord, s’avéra pourtant une expérience métaphysique d’importance pour un jeune esprit tout occupé à se construire une image du monde cohérente et logique.

Je découvris en effet en passant la porte, puis en empruntant le couloir qui menait à la chambre de Thierry, que cet appartement, tout aussi carré que le mien, en était cependant l’inverse absolu. L’impression d’étrangeté qui résultait de cette observation était renforcée par le fait que les meubles, les objets et la décoration dans son ensemble y étaient différents. J’en concluais donc avec ma logique d’enfant que leur aménagement respectif différait pour la seule raison qu’ils se trouvaient inversés, comme dans un miroir qui prendrait des libertés avec la réalité. Mais où se trouvait la réalité, où se trouvait le miroir ? J’étais évidemment tenté de penser, par un effet d’antériorité légitime, que l’appartement de mes parents était la réalité. Mais Thierry, de son côté, pouvait à bon droit penser la même chose. Mon incapacité à trancher cette question me plongea dans un profond désarroi, auquel mon camarade ne prêta aucune attention. Quelques jours auparavant, il avait reçu pour son anniversaire une vaste ferme en carton bouilli agrémenté d’une multitude de petits animaux en plastique, d’un tracteur Massey-Fergusson et d’une moissonneuse-batteuse de même marque, et il entendait bien en jouir pleinement sans avoir à se préoccuper de problèmes métaphysique dont la résolution ne lui aurait été d’aucune utilité dans la gestion d’une exploitation agricole.

Je décidais sagement de me concentrer sur notre jeu, mais Thierry et moi ne réussîmes pas à nous entendre sur qui ferait le fermier et qui ferait la fermière. Je proposai, en guise de compromis, que cette ferme soit conduite, exceptionnellement, par deux fermiers, mais Thierry refusa obstinément sans me donner plus d’explications. Chaque parti en présence ayant épuisé la totalité de ses arguments, nous finîmes par en venir aux mains. Après quelques coups échangés, je prenais la fuite en le traitant de tous les noms puis je claquais la porte.

Je réintégrais l’appartement familial et constatais avec soulagement que tout était à sa place ; et l’emplacement de chaque bibelot, le motif des papiers peints, jusqu’à la présence de ma mère devant la table à repasser me semblait si naturel , si évident, qu’aucun doute n’était à présent permis. La réalité, c’était ici.

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13 janvier 2012 5 13 /01 /janvier /2012 13:44


salle cinemaL'angoisse est la peur de l'inconnu, qu’il se situe dans le temps ou dans l’espace.

Elle n’est pas innée, mais prend naissance lors de certaines situations traumatisantes, puis se développe pour gagner peu à peu tous les domaines de la vie, ou presque. Il parait qu’en philosophie, l’angoisse peut aboutir à un questionnement sur la condition humaine. Ainsi, Jean-Paul Sartre a su tirer parti de son angoisse en inventant le concept d’existentialisme. Pour ma part, je n’en tire que de désagréables sensations d'oppression accompagnées d’un sentiment absurde de danger imminent, qui ne m’aident en rien dans la compréhension de ma condition. En revanche, à titre de consolation, je sais d’où elle provient, j’arrive à en situer l’élément déclencheur, la scène primale.

Je devais avoir 6 ans et, accompagné de ma mère j’allais pour la première fois au cinéma. Le film s’appelait « Djumbo », un dessin animé de Walt Disney racontant l’histoire d’un éléphanteau qui vole grâce à ses oreilles surdimensionnées. La salle était presque pleine lorsque nous arrivâmes et nous dûmes nous installer au beau milieu d’une large rangée. Je regardais les publicités pour les esquimaux tout en essayant de contenir mon excitation lorsque ma mère me demanda si j’avais pensé à faire pipi. Elle ajouta aussitôt en se penchant un peu plus vers mon oreille : « Quand le film sera commencé, il fera tout noir dans la salle et tu ne pourras plus te lever ». Dans un flash, je me vis titubant au milieu de la travée, buttant sur chaque marche, la vessie douloureuse tandis que dans mon dos défilaient les aventures de Djumbo, auxquelles à mon retour des toilettes je ne comprendrais forcément plus rien. Une autre version de mon périple, bien plus dramatique, m'apparut ensuite, provoquant une crispation de mes mains sur les accoudoirs. Cette fois-ci, perdu dans le noir je n’arrivai jamais jusqu’aux toilettes. Et me trouvait contraint de me libérer dans mon pantalon. Des spectateurs s’en apercevaient et se mettaient à crier. On coupait la projection, rétablissait la lumière dans la salle et, traîné par ma mère humiliée, je sortais sous les huées du public.

J’allais me lever lorsqu’une ultime variation s’imposa à mon attention. Cette fois-ci, je trouvais bien les toilettes mais sur le chemin du retour je m’égarais au milieu des multiples rangées de fauteuil, incapable de retrouver ma place d’origine. Planté au milieu de l’allée plongée dans l’obscurité, je me mettais à pleurer, avec les mêmes conséquences honteuses que dans le scénario précédent. Je choisis donc prudemment de rester à ma place, tout en appuyant, à intervalle régulier, d’une main inquiète sur ma vessie. Le dernier quart du film fut pénible car mes pressions répétées avaient fini par détecter une envie, d’abord fugace puis de plus en plus prononcée au fur et à mesure que le temps passait. Mon attention se détachait régulièrement du sort de Jumbo pour se concentrer sur un questionnement à mes yeux autrement important : allais-je tenir jusqu’au bout de la séance ?  Contre toute attente, la réponse fut oui.

Mais encore aujourd’hui, je ne puis m’empêcher, en pénétrant dans une salle de cinéma, d’observer le même rituel immuable :

- repérer immédiatement où se trouvent les toilettes.

- m’y rendre, même sans envie probante.

- exercer des pressions sur ma vessie tout le long de la séance.

C’est à ce prix seulement que mon angoisse s’atténue suffisamment pour que je puisse voir le film jusqu’à son dénouement sans pensée parasite. Bien sûr, j’ai conscience du ridicule de ce petit stratagème, et pourtant je ne cesse de me dire que ce serait une chance si, pour chaque type d’angoisse rencontrée au court de mon existence, il existait un rituel approprié.

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19 septembre 2011 1 19 /09 /septembre /2011 12:03

salle-fete.JPGUne voiture qui roule en direction de nulle part finira par s'arrêter n'importe où.
C'est-à-dire quelque part.
Ce qui, tout compte fait, et en regard de la destination d'origine, représente une incontestable amélioration.
 

Depuis quelque temps, j’ai remarqué que je suis rarement triste. Pour autant, je ne suis pas gai. Non.. Mais bon, il y a une évolution, c’est incontestable. Je me situe dans une sorte de milieu sans grande saveur, pas vraiment désagréable dans le fond.
Je constate donc avec un peu d’étonnement qu’on ne peut pas rester éternellement déprimé, c’est-à-dire assis sur une chaise les bras ballants à regarder le papier peint qui n’en finit plus de se défraîchir.
Je vais mieux…
Pas au point de me rendre chez Leroy Merlin pour choisir un nouveau papier peint aux couleurs clinquantes.
Mais je vais mieux.
Et curieusement, ça m’ennuie un peu. L’accablement permanent me prodiguait une consistance, une sorte d’épaisseur psychologique qui va cruellement me manquer. Je brandissais ma neurasthénie comme un étendard auprès des rares personnes qui continuaient à m’accepter dans leur entourage. Elles savaient à quoi s’en tenir, et me tenaient pour un de ces spécimens inoffensifs, banalement habités par ce sentiment de mal-être si répandu dans nos grandes métropoles modernes.
Leur tolérance envers moi se manifestait principalement par des invitations sporadiques à des fêtes d’anniversaire organisées dans des salles municipales louées pour l’occasion. Mon rôle consistait à me pointer avec deux heures de retard, sans cadeau, puis à aller m’asseoir dans un coin, et à attendre que ça se passe. Je m’accaparais discrètement une bouteille de whisky, et on me découvrait en rallumant les lumières, vers 4 heures du matin, plié sur ma chaise et ronflant bruyamment.
Que s’était-il passé entre-temps ? J’avais de vagues souvenirs de petites grosses se dandinant dans leurs jeans taille basse sur de la musique des années 80, de couples fraîchement formés qui se promettaient des éternités d’amour tout en s’explorant mutuellement l’orifice buccal à l’aide de leur langue engourdie par l’alcool.
Ce genre de scène se succédait, et leur répétition même, mêlée aux vapeurs du whisky, m’entraînait inexorablement là où quoiqu’il arrivât j’avais décidé de me rendre : les vastes plaines accueillantes du coma éthylique.
Je reprenais lentement mes esprits tandis que quelques convives qui n’avaient su s’éclipser au bon moment s’obstinaient à l’aide d’une serpillière douteuse à décoller les mares de rhum coca répandues sur le sol carrelé. Cela me prenait environ vingt minutes, à la suite de quoi j’allais poliment saluer les organisateurs, sans oublier de demander à qui, exactement, je devais souhaiter un joyeux anniversaire.
Je me foutais de tout et de tout le monde, car rien n’avait d’importance et j’aurais pu perdre la vie sur l’instant que ça ne m’aurait pas autrement bouleversé. C’était le bon temps.
Maintenant qu’en quelque sorte je remonte un peu à la surface, j’appréhende mon retour au monde. Comment vais-je gérer l’arrivée de ces nouveaux désirs qui ne vont pas manquer de m’assaillir comme tout être psychiquement adapté ? Vais-je moi aussi, comme Marc, un ancien ami chirurgien, convoiter pas dessus tout la dernière Rover 8 cylindres bleu nuit métallisé « parce que c’est plus discret » ? Il faudrait pour cela que je reprenne mon travail. À ce propos, vais-je tenter, comme Jean-Louis, une sorte de collègue de bureau libidineux et rougeaud, de prendre la place du chef de service en le poussant à l’infarctus ? Si j’y arrivais, je pourrais me payer la Rover, à crédit, et avec deux trois cylindres en moins aussi, mais bon… J’aurais pour le coup tous les atouts en main pour séduire Sylvie, la grande blonde molle et langoureuse de la compta, l’amener en forêt et la prendre sauvagement sur le capot encore chaud.
Rendu à ce stade, je serai de nouveau parfaitement inséré dans la société post-industrielle. Ça ferait bien plaisir à mes parents, et puis à mes amis aussi, qui recommenceraient sans doute à m’inviter à dîner.
Bien sûr je ne suis pas obligé de me rendre à ces extrémités. Je vais mieux, je vais donc pouvoir retrouver une vie sociale conforme à l’idée que s’en font la plupart des gens : travail, sorties entre amis, restaurant, discothèque, un petit coup par-ci par-là et plus si affinité.
Alors que je suis à deux doigts de franchir le pas, je sens bien que mon épaisseur psychologique d’individu sinistre, si indispensable à mes yeux, va par un effet pervers de vase communiquant, m’échapper de façon irrémédiable.
Toutes ces réflexions finissent par me lasser, et atteignent sensiblement mon moral.

En somme, je suis sur la bonne voie.

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6 septembre 2011 2 06 /09 /septembre /2011 14:22

P751.jpgPerdu dans la multitude bigarrée de « Paris Plage » j’observais l’autre jour un jeune couple d’amoureux. Assis sur un muret, ils regardaient dans la même direction avec dans leurs yeux l’expression d’un vide insondable.
De toute évidence, ils s’emmerdaient.
Je me souvenais alors d’une étude portant sur les qualités recherchées en priorité par la femme chez l’être aimé. Contrairement à ce qu’on pourrait imaginer, la possession d’ attributs avantageux n’apparaissait à aucun endroit. En revanche, placé juste après « le physique flatteur », et le talonnant de près, on trouvait « le sens de l’humour ». Les femmes aiment rire, c'est un fait.
Mon regard se posait à nouveau sur le couple, et je réalisais à quel point ce que cette prétention avait de follement utopique.
Il faut bien comprendre que le plus souvent, l’homme n’a qu’une très vague idée de ce qui amuse les femmes. Les histoires drôles ? Les imitations ? Les déguisements ? Un regard mordant porté de la société qui nous entoure ?
La liste est infinie, l’homme un peu perdu.
C’est vrai, il m’arrive de faire rire les femmes, essentiellement lors de tentative de séduction. Mais c'est un phénomène qui échappe à mon contrôle.
En général, les choses ne vont guère au-delà de la première approche, mais il est arrivé une ou deux fois qu’une histoire se noue, voire qu’elle se poursuive un peu au-delà de la simple nuitée.
Les problèmes commencent ici.
On a vite fait de ne plus me trouver drôle, involontairement ou pas. Je n’amuse plus personne, excepté à un moment qui arrive à la fin, lorsque je lui crie qu’une fois la porte franchie, il sera inutile de revenir. Alors j’entends son rire s’égrener méchamment tandis qu’elle emprunte l’escalier pour la toute dernière fois.
Ces expériences m’inclinent à penser que les seuls moments dans la relation où je côtoie l’idéal féminin de la perfection masculine se situent au début et à la fin.
Entre les deux, des progrès restent à accomplir.

 

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29 août 2011 1 29 /08 /août /2011 14:38

carrefour.jpgDans le fond, j’ai des trésors de tendresse à offrir à la femme qui voudrait bien de moi.
Des richesses infinies, du bonheur sans fin.
Seulement, je suis conscient que mon nez trop long, mes joues molles et l’indécrottable gaucherie dont je fais preuve dès qu’une fille apparaît, représentent pour moi de sérieux obstacles à la poursuite de ce doux rêve. Alors j’ai tendance à les contourner en cherchant obstinément une solution, ailleurs. Les cas sont nombreux, de personnes quelconques que les feux des projecteurs ont rendues soudainement attrayantes. Ainsi il n’est pas rare de voir, dans certains journaux, des acteurs à la limite de la disgrâce se pavaner au bras d’une créature céleste. J’ai lu également que de très jeunes filles faisaient la queue à la sortie des loges de rockstars célèbres. Il y a sans doute, dans tous ces exemples, une idée à creuser. Mais comment procéder pour devenir quelqu’un, alors qu’on ne dispose pas de talents particuliers ?

J’ai beaucoup réfléchi sur le sujet. En fait, il existe plusieurs solutions, dont l’efficacité est proportionnelle aux risques qui en découlent. D’abord, on peut participer à un jeu télévisé, du genre « Secret story ». Pour cela, il faut être plutôt jeune, relativement désœuvré, et assez stupide. Hélas, j’ai dépassé la date limite pour postuler à ce genre d’exercices.

L’autre solution consisterait à s’inscrire, par une action d’éclat, dans la chronique des faits divers. Commettre un hold-up spectaculaire, un braquage audacieux, voire un meurtre particulièrement sanglant, ce genre de chose. Mais pour cela il est nécessaire de présenter quelque disposition pour le crime, que je suis loin de posséder. Et puis on est célèbre le temps de passer aux assises, et encore, si le crime sort vraiment de l’ordinaire. Après, c’est la prison, l’oubli… Cette solution est à proscrire.

Malgré mes efforts, le problème reste insoluble. Je devrais donc cesser d’y penser mais je n’y arrive pas. Heureusement, parfois, il y a des périodes de rémission, des périodes neutres, blanches comme un brouillard, dont je m’enveloppe avec soulagement. Alors, je ne ressens plus rien, je n’ai plus d’envies ni de désirs, je n’existe plus. Cet état me procure une sensation de bonheur triste et j’observe ma situation avec une sorte de détachement amusé.
Dans ces moments-là, j’aime bien aller à Carrefour, dans la zone commerciale. Je ne prends même pas de caddie, mon intention n’est pas d’acheter. Je me contente d’arpenter les rayons, à la recherche de couples, de préférence dans mes âges, avec ou sans enfants. Je fuis ceux dont le visage laisse apparaître une certaine plénitude, sans doute liée au plaisir de consommer, pour me concentrer sur des spécimens plus communs, désespérés de se retrouver pieds et mains liés à un partenaire qu’ils n’aiment manifestement plus comme au premier jour. Pour les repérer, c’est facile : l’homme et la femme s’ignorent tout en s’abîmant dans la contemplation des rayons. Ils sont habillés de façon fonctionnelle, sans recherche particulière. Souvent une sorte de jogging un peu trop large, et l’on sent sur leur dos fatigué tout le poids des années qu’ils ont déjà passées ensemble. Ils parcourent chaque allée, se saisissant des produits nécessaires à leur quotidien. Parfois, lorsque l’agencement du magasin a été bouleversé, on lit dans leur regard tout le désarroi que doivent éprouver les vaches quand on les emmène brouter dans un pâturage inconnu. Quelques phrases agacées fusent sur un ton sec, et on a l’impression qu’ils s’accusent réciproquement de cette mésaventure.

La présence d’enfants n’arrange rien. Bien souvent, les claques volent. On se libère des humiliations endurées pendant la journée. De persécutés, ils deviennent persécuteurs.
Au bout d’un moment, ce spectacle entraîne chez moi une certaine lassitude. Je réalise qu’après tout, leur sort vaut bien le mien. Eux, au moins ne sont jamais seuls, même s’il leur faut parfois supporter une tête qui ne leur inspire plus rien depuis longtemps. Qu’importe, on a toujours plus chaud à deux.
Je prends machinalement un paquet de cacahuètes au rayon « biscuits apéritifs ». Je n’ai aucune raison objective de fréquenter cet endroit. Il est rare de trinquer seul, sauf quand on est alcoolique ou dépressif, je suppose. Dans ce cas, on se passe facilement des amuse-gueules.

Je me dirige vers les caisses.
D’ordinaire, je choisis la caissière la plus laide, pour éviter toute charge émotionnelle qui pourrait éventuellement s’installer lors de la transaction.

Ce jour-là, j’opte pour une rousse, magnifique, des cheveux qui lui tombent jusqu’au bas des reins, des yeux verts, des mains longues et fines. Exactement le type de fille que je n’oserais jamais aborder dans la rue ou ailleurs.
Pourquoi prendre de tels risques ?

Disons que j’ai passé la quarantaine, je suis seul, je m’emmerde, et qu’il est bon parfois, dans cet océan de banalité, de se ménager une petite coquille de fantaisie, histoire de naviguer plaisamment pendant quelques minutes. Voilà, je vois les choses comme ça.

Au moment où je dépose mon sachet de cacahouètes, un grand type en rollers arrive à vive allure, et glisse quelques mots dans l’oreille de la fille, qui lui répond d’un regard chargé de promesses. Puis elle se tourne vers moi, et sans même me voir :
- Bonsoir quatre-vingt-quinze centimes s’il vous plaît.

Je paie, elle me donne mon ticket. A aucun moment, elle n’a levé les yeux.
La petite coquille de fantaisie a vite fait de s’abîmer dans l’océan du quotidien.

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22 août 2011 1 22 /08 /août /2011 14:34

cocktail-piscine.jpgJe suis donc parti en voyage, dans un pays exotique d’entrée de gamme, un séjour choisi sur Internet en cinq minutes, sur la foi de trois ou quatre clichés présentant une piscine en forme de protozoaire avec en arrière fond un immeuble blanc d’une quinzaine d’étages entouré de quelques palmiers chenus, le tout sous un ciel bleu  sans défaut.

Il arrive de temps à autre, dans des circonstances particulières, que l'on se trouve attaché, du moins visuellement et indépendamment de notre volonté, à une personne qui va apparaître comme par enchantement et à espace très régulier, sans pour autant que cela ne suscite la moindre excitation romanesque. C'est précisément ce qui s'est produit durant ce voyage, avec la grande blonde en survêtement vert pistache. La première fois que je l'ai aperçue, c'était à l'aéroport, elle se trouvait juste devant moi, dans la queue pour enregistrer les bagages. Elle était accompagnée de ce qui semblait être sa grand-mère, et de deux volumineuses valises de marque Vuitton (c'était écrit dessus) qu'elle avait, selon ses dires, acquises pour 350 euros, une bouchée de pain.

Je l'ai ensuite croisée au Relais presse, où elle achetait des magazines du type "Closer" ou "Voici", pour le voyage. Je l'ai même entendue dire : "Voilà la lecture qu'il me faut !".

Ensuite, dans l'avion, mon siège était situé juste devant le sien, et celui de sa grand-mère. Durant le vol, elle a sorti ses magazines et a entrepris de lire l'horoscope à la vieille femme, qui acquiesçait à chaque phrase par des grognements satisfaits. Après une heure de vol, un jeune homme dont l’allure soignée tentait de dissimuler à grand-peine une évidente insignifiance, est entré en contact avec la grande blonde. D’après les quelques mots que j’ai pu intercepter de la conversation, ces deux – là travaillaient ensemble, ou au moins dans le même bâtiment. Ils avaient dû sympathiser au restaurant d’entreprise.

Le lendemain matin, alors que j’étais accoudé au balcon de ma chambre, me demandant comment j’allais pouvoir meubler cette première journée, puis celles qui suivraient, j’ai aperçu la grande blonde allongée sur un transat au bord de la piscine. A ses côtés, un cocktail et un flacon d’huile solaire ; elle n’avait pas perdu de temps. Quelques instants plus tard arrivait le jeune homme insignifiant. Lui aussi avait troqué sa tenue décontractée mais néanmoins élégante pour un short de bain bariolé qui exhibait au grand jour son abdomen flasque et imberbe, ses jambes malingres. Le pauvre devait en être conscient, puisque tout en marchant il ne cessait d’observer les rebonds disgracieux de son ventre mou. Il portait dans chaque main un cocktail. Il déposa le premier sur une table basse à côté de la grande blonde, puis entreprit d’avaler le second en passant par la paille, tout en souriant, un poing posé sur la hanche. Probablement avait-il dans l’idée de transformer cette vague relation de travail en quelque chose de plus intime. La fille pointa avec son index le verre qu’elle tenait déjà entre les mains, signifiant par là qu’il arrivait trop tard. C’était son problème en général : il arrivait trop tard. Pourtant, il ne se départit pas de son sourire, persuadé qu’il conservait toutes ses chances. Une fille qui partait au soleil avec sa grand-mère était forcément libre de tout engagement. Peut-être était-elle venue ici pour oublier une histoire d’amour douloureuse. Oui, il conservait toutes ses chances.

Durant les premiers jours, je revis à plusieurs reprises le garçon au physique ingrat. Une fois au restaurant de l’hôtel, avec la fille et la vieille. Une fois dans la piscine, où il accompagnait la grand-mère dans ses longueurs, soutenant la moindre brasse d’un petit jappement d’encouragement. L’aspect artificiel et forcé de ces manifestations m'induisit à penser qu’il avait probablement changé de tactique. En s’attirant les bonnes grâces de l'aïeule, il imaginait sans doute faciliter son acceptation dans la sphère intime de la grande blonde. Mauvais calcul. Délestée de l’encombrante grand-mère, la grande blonde, qui changeait dorénavant de tenue toutes les trois heures, n’avait pas tardé à faire la connaissance d’un italien aux cheveux mi longs, au torse parfait. Couché sur des transats au bord de la piscine, ils passaient leur temps à rire d’un rien tout en engloutissant des cocktails avec une régularité métronomique.

A la fin de la semaine, le jeune homme insignifiant ne se donnait même plus la peine de se raser. Il occupait le plus clair de son temps au bar de l’hôtel, à siroter des bières locales, sans prêter la moindre attention au bavardage de la grand-mère qui, depuis l’épisode des cours de natation, ne le lâchait plus d’une semelle.
Ce séjour devait lui apparaître comme un parfait fiasco. Pourtant, l’un dans l’autre, il n’y avait pas de quoi se décourager tout à fait. Le temps finirait par lui apporter sa revanche, avec un peu de patience...  Les hommes, passé la quarantaine, ont encore l’espoir de se bonifier physiquement ; les femmes, rarement. Tout au plus peuvent-elles stagner un moment avant de sombrer dans une décrépitude corporelle qui ne fera qu’empirer au fil des années. La fille blonde, pour sa part, avait bien raison de croquer de l’Italien gominé tant que cela lui était encore possible. Bientôt, son pouvoir d’attraction s’amenuisera jusqu’à rejoindre celui de sa grand-mère. Sera alors venu le temps des traversées interminables et solitaires de la piscine de l’hôtel. Et notre ami au ventre mou, caché derrière un des palmiers chenus, rira d’un petit rire méchant et inutile.
Sinon, j’ai passé un bon séjour, même si la nourriture manquait de variété et ma chambre était trop près des cuisines.

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4 juillet 2011 1 04 /07 /juillet /2011 15:21

pluie.jpgJe n’ai jamais su y faire avec les femmes. Déjà à la banque je me souviens. J’étais amoureux d’une fille qui travaillait à la comptabilité. Amoureux fou, mais impossible de lui parler d’autre chose que du temps. Je la regardais de loin, et mon désir m’empoignait l’estomac, ç’était douloureux.

Un jour j’ai décidé de passer à l’action. L’idée que je me fais de l’action. Quelque chose d’à peine perceptible. D’ailleurs bien souvent personne ne s’en apercevait.

Donc je suis passé à l’action.

C’était le jour de mon anniversaire. Je suis allé dans son service. Elle était là à me fixer avec ses yeux noirs comme des olives. Ca me faisait mal de la regarder tellement elle était belle. Alors j’alternais entre elle et sa collègue, une femme gentille au bord de la retraite. J’ai raconté quelques blagues idiotes et entre deux j’ai glissé : « Aujourd’hui c’est mon anniversaire ! » et puis sans réfléchir j’ai récité la phrase que j’avais préparée depuis le matin : « Je vous offre un verre pour l’occasion, ça me ferait très plaisir ».

En général on ne refuse pas ce genre d’invitation. Mon coup était bien préparé, les risques calculés, pour ainsi dire quasiment nuls. Elle a accepté. Sa collègue, la vieille femme gentille aussi. Je n’avais pas prévu cette éventualité, mais je pouvais faire marche arrière, dire « Non, pas vous ; juste elle ».. Et puis sa présence m’aiderait peut-être à me montrer moins embarrassé.

Nous sommes allés tous les trois au café de la Mairie. Il pleuvait. A l’intérieur, le sol était humide et sale. Au milieu du bruit le garçon criait ses commandes d’un ton agacé. On s’est assis à une table de quatre, elles sur la même banquette et moi en face. La vieille femme a tout de suite dit qu’elle ne pouvait pas rester longtemps. La femme de mes rêves a répété la même chose, en écho, mais plus bas. Le pot d’anniversaire s’engageait mal. J’étais déçu car mon plan, bien qu’infaillible, n’avait fonctionné qu’à moitié. D’après les plans que j’avais établis, j’aurais dû rester seul avec elle, on aurait parlé de choses et d’autres, d’un ton intimiste. Je lui aurais offert une autre boisson, une glace si elle avait voulu. Je l’aurais gâtée et elle aurait vu à quel point je pouvais être quelqu’un de gentil. Et puis après, qui sait ce qui aurait pu se passer… Mais là, ça n’allait pas du tout et j’ai senti toute mon énergie s’échapper de mon corps, remplacé par un sentiment de ridicule. Cette fille se contrefichait de moi. Elle avait accepté par politesse mais n’avait qu’une envie : rentrer chez elle. J’étais misérable.

Le garçon est venu prendre les commandes et j’avais du mal à montrer de l’entrain. « Prenez ce que vous voulez, c’est mon anniversaire ! » Elles ont toutes les deux pris un café. C’était vexant. Ce n’était pas une boisson de fête. J’ai pris une bière. On a parlé du travail. La vieille femme me posait des questions et je me surprenais à répondre en détail, comme pour un entretien d’embauche. Les mots qui sortaient de ma bouche en flot continu m’écoeuraient. Je souhaitais que cette situation prenne fin. Pourtant elles m’écoutaient toutes les deux comme si j’étais quelqu’un d’important. C’était sans doute un nouveau signe de politesse.

Quand on est ressorti du café, il ne pleuvait plus. Elles m’ont bien remercié pour le café, m’ont souhaité un joyeux anniversaire puis chacun est parti de son côté.
J’ai fait quelque pas et je me suis retourné. Elle s’éloignait d’un pas pressé.
Je retrouvais ma voiture sur le parking. Je serrais le volant de mes deux mains.
Le pare-brise était couvert de larmes.

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  • Aloysius Chabossot

Avertissement

Les textes qui suivent proposent au lecteur d’entrer de plain-pied dans le cerveau méandreux d’un aquoiboniste. La diversité des sujets abordés peut donner dans un premier temps une impression de confusion peu compatible avec l’élaboration d’une pensée construite et ordonnée, et l’on pourra par moments se sentir comme un naufragé embarqué sur une frêle esquive, perdu au milieu d’une purée de pois. Cependant, au fil des pages, le lecteur consciencieux se verra récompensé de ses efforts : car bientôt, au milieu de la brume, apparaîtront comme dans un rêve les côtes admirablement ciselées d’une pensée homogène et novatrice : l’aquoibonisme. Il faudra pour cela parfois ramer un peu.

Qu'est-Ce Que L'aquoibonisme ?